Séance de ventriloquie
Par extraordinaire et pour une représentation seulement M. Comte, ventriloque (à voix lointaines), venant de Paris, connu avantageusement par ses talens dans les principales villes de France et de Suisse, notamment à Fribourg, où il a été victime de la superstition de plusieurs individus qui l’ont saisi, maltraité, et ont voulu le brûler, croyant que son art tenoit du sortilège (tous les journaux en ont fait mention), passant par cette ville, donnera aujourd’hui ... 1808, une représentation de :
- Qui vive dans la rue, ou le Corps-de-garde, scène de ventriloque à plusieurs voix, cris et bruits lointains, et ce les lèvres closes, en face des spectateurs.
- Le Tableau parlant. Le Cri du marchand de journaux, dans la rue.
- Le sommelier au bas de la cave, ou la Bouteille cassée, scène à plusieurs degrés de voix.
- Le Dentiste de campagne, scène à plusieurs voix.
Les journaux donnent la relation des scènes plaisantes occasionnées par son talent, et ajoutent qu’il est le premier ventriloque de ceux qui ont paru jusqu’à présent ; et pour le prouver, il se fera un plaisir de se transporter dans les Société qui pourroient en douter, avant et non après cette seule représentation. Pour concourir à l’agrément de la séance, elle commencera par une récréation d’expériences de physique expérimentale et amusante, de M. Olivier de Paris.
- On commencera à 5 heures et demie très précises. C’est dans la salle des spectacles.
Extrait des journaux français et suisses, de Fribourg, le 30 juin 1806 :
"Un jeune homme de Genève, nommé Comte, qui exerce avec succès à Fribourg depuis quelques semaines son talent de ventriloque, étoit allé le 12 de ce mois à un château voisin où il avoit été appelé. En revenant ici, le 13, il entra dans un cabaret de village pour y déjeuner. En buvant, il lui prend fantaisie de jouer un tour de son métier, et de jeter sa voix dans un escalier de cave. La maîtresse, effrayée, s’imagine qu’un voleur est caché dans sa maison, et appelle au secours. Il arrive une douzaine de personnes, qui, armées de bâtons, de haches, de maillets, descendent dans la cave, manifestant l’intention bien prononcée de tuer le voleur. Ils fouillent partout, ne trouvent rien et paroissent fort effrayés. M. Comte, croyant les rassurer, leur dit : Messieurs, ne cherchez plus, je sais ce que c’est ; c’est une voix que j’ai fait entendre pour m’amuser ; je vais vous expliquer ... Ah, tu sais ce que c’est ! répond alors un gros homme de la bande, en le colletant fortement : eh bien ! il faut que tu nous le trouves, cet homme qui parle là-bas, ou nous allons le tuer ! et plusieurs voix de s’écrier : oui, oui, il faut le tuer, c’est un Sorcier. Et l’aubergiste ayant donné le signal et l’exemple de tomber sur le pauvre ventriloque, celui-ci de se jeter à genoux pour les supplier de lui accorder un instant de relâche afin qu’il ait le temps de leur éclairer la chose. Il croit ne pouvoir mieux la leur expliquer qu’en jetant de nouveau sa voix dans une armoire. Les paysans y courent, l’ouvrent à coups de hache, et n’y trouvent personne. Oh ! pour le coup, ils entrent en fureur, répètent en chorus, à grands cris : C’est un sorcier, c’est un Sorcier. Une vingtaine de personnes, le cabaretier et toujours le gros homme à leur tête, se précipitent sur le ventriloque sans vouloir l’écouter, le terrassent, lui portent plusieurs coups de bâton sur la tête, sur le nez ; l’un lui assène un coup de maillet sur l’œil gauche, l’autre lui fait des contusions à la poitrine, et tous crient qu’il faut le traîner au four, qui, par bonheur, se trouve allumé, et l’y griller comme un Sorcier. Ces forcenés auroient fini par exécuter leur menace si notre pauvre diable n’avoit tout à coup rassemblé le peu de force qui lui restoit. Il se relève, et jouant des pieds et des mains, parvient çà se tirer des griffes de ces enragés, se sauve à toutes jambes à travers les champs, et arrive à Fribourg dans l’état qu’on peut se figurer. Ce jeune homme, qui jouit de la meilleure réputation, a formé sa plainte, et tous les honnêtes gens sont indignés de la manière barbare dont il a été traité." Signé : Dupré et Geoffroy, rédacteurs.